Une espèce méconnue :  Coffea canephora

Sourcing & caféiculture

Une espèce méconnue : Coffea canephora

Jean Etchats | 2022-12-08

Ne soyez pas effrayés par cet article. Il ne vous arrivera rien en le lisant. Vous pourriez même être intéressés. 

 

Cet article a été co-écrit par Jean Etchats, directeur de la qualité & Denis Mialocq, Responsable formation 

 

Le canephora devient un sujet de plus en plus important au sein de la filière café.

Historiquement fortement utilisé en France, il a petit à petit été désavoué au détriment de l’arabica. Aujourd’hui, Coffea canephora reprend une place non négligeable dans les réflexions de nombreux acteurs de la filière café.

D’après les dernières estimations de l’USDA (Département de l’Agriculture des Etats-Unis), la production de Coffea canephora représente 47% de la production mondiale de café pour la période 21/22 contre 40% sur la période 18/19. Il y a une tendance haussière depuis plusieurs années avec une vraie dynamique au Brésil par exemple.

 

Foreign Agricultural Service/USDA December 2021

 

Les difficultés liées à la production de l’arabica, l’augmentation des coûts de production et les récentes recherches liées à l’amélioration de la qualité du canephora peuvent expliquer ce regain d’intérêt.

 

Coffea canephora, robusta, même combat ?

 

Il est indispensable de débuter par un éclaircissement terminologique. On utilise indifféremment le terme « robusta » et Coffea canephora. Cette confusion illustre le flou autour de cette espèce.  

La taxonomie, soit la classification du vivant, est construite à travers une organisation qualifiant du plus global au plus précis. L’arbuste caféier sera qualifié par sa famille, son genre, son espèce et ensuite sa variété. 

Plus précisément le caféier est une plante tropicale de la grande famille Rubiaceae, du genre Coffea qui offre une multitude d’espèces. La plus (re)connue est Coffea arabica, mais nous pouvons citer Coffea eugeniodes, Coffea liberica et enfin Coffea canephora (Liste non exhaustive, il en existe environ 125 espèces, nous pouvons citer aussi Coffea salvatrix, Coffea brevipes, Coffea racemosa, etc…).

Ainsi, Coffea canephora est une espèce à part entière différente de Coffea arabica et possède aussi des variétés, la plus connue le robusta. Est-ce que vous en connaissez d’autres ? On peut citer par exemple le conilon au Brésil. Il est compliqué d’en identifier et de les distinguer, nous verrons pourquoi dans la suite de l’article.

 

La découverte du Coffea canephora

 

Le canephora a été découvert tardivement au 19ème siècle aux abords de la rivière Lomami en République Démocratique du Congo (Herrera et Lambot, 2017). À cette époque, le pays est une colonie belge. Au début du 20ème siècle, via la nursery botanique belge, le pays va débuter le déplacement des premières variétés de robusta vers l’ile de Java. S’en suit l’implantation en Inde, en Ouganda et Côte d’Ivoire. En 1912, les premières variétés issues de l’espèce Coffea canephora entrent sur le continent américain avec les premières cultures au Brésil.

           

Production Coffea canephora dans le monde, Foreign Agricultural Service/USDA Decembre 2021

 

Aujourd’hui, l’espèce Coffea canephora est cultivée dans les pays suivants avec en tête le Vietnam, le Brésil et l’Indonésie. On remarque la forte progression de la production au Brésil sur les 5 dernières années. La région d’Espirito Santo représente entre 70 et 80% de la production nationale de conilon. Depuis une cinquantaine d’années, des plants de conilons ont progressivement remplacé des plants d’arabicas. Rafael Marques, partenaire Belco & FAF Coffees, fondateur du projet « Lado a Lado », souligne que malgré la présence du conilon depuis plus d’un siècle, la recherche dédiée à l’amélioration de la complexité aromatique, de la productivité et de la résistance aux maladies s’est développée depuis moins de 30 ans.

200 clones ont été testés. De nouvelles variétés plus qualitatives se sont développées comme diamante, jequitiba, centenario et vitoria qui sont produites dans le terroir d’Espirito Santo à des altitudes élevées pour le canephora. Rafael nous confiait que la demande de conilon de qualité augmentait et qu’il pouvait même être valorisé comme café consommé en origine pure comme certains arabicas. Un premier lot de conilon d’Espirito Santo arrivera dans les entrepôts Belco en décembre 2022.

 

Pollinisation croisée du conilon à Espirito Santo – photo Rafael Marques de chez FAF

 

Coffea canephora, Coffea arabica, même combat ?

 

            Les conditions idéales de développement pour le Coffea arabica sont entre 800m et plus de 2000m d’altitude avec un climat tempéré équatorial (températures entre 17°C et 27°C). Pour le Coffea canephora, les conditions idéales sont comprises entre 100m et 1500m d’altitude avec un climat équatorial (températures entre 24°C et 30°C).

Tout le genre Coffea possède 22 chromosomes à l’exception de l’arabica. Alors que l’arabica est autogame (Mode de reproduction par autofécondation), le canephora est allogame (mode de reproduction par fécondation croisée).  Cette reproduction croisée entraine plus de diversité génétique au sein des plantations de Coffea canephora et rend plus compliqué le recensement des variétés et l’identification des terroirs.

 

Schéma de la reproduction sexuée végétale

Au fur et à mesure de son expansion sur les différents continents, de nouvelles variétés botaniques se sont développées. La plus connue est le robusta. Nous pouvons aussi évoquer le kouillou (fruits et grains plus petits que le robusta). Le conilon, est une variété originaire du Brésil. Son nom serait une mauvaise traduction du kouillou (le « u » est devenu « n »). On peut citer aussi les variétés gimé et niaoulé d’origine d’Afrique de l’Ouest. Visuellement il sera facile d’identifier un Coffea canephora. Le grain est plus petit que le Coffea Arabica et de forme plus sphérique.

 

Comparaison visuelle Coffea canephora (à gauche) et Coffea arabica (à droite), photos prises par Jérémy Limousin, laboratoire Qualité Belco

 

Pour comprendre le profil aromatique spécifique du canephora, il est intéressant de s’attarder sur sa composition chimique et la confronter avec l’arabica. Lindsay et al. (2012) présentent un tableau comparatif entre les deux espèces.  

 

Composition chimique du café vert Coffea arabica et Coffea Coffea canephora – Source : Coffee: Emerging Health Effects and Disease Prevention, Chapitre 2, 2012

 

 

Les quantités de sucrose, de caféine, de trigonelline et d’acides chlorogéniques marquent les grandes différences de ces deux espèces.

Les concentrations élevées d’acides chlorogéniques et de caféine impactent négativement la qualité de la tasse et les niveaux bas de sucrose et de trigonelline sont responsables de sa faible complexité. Lors de la torréfaction, les acides chlorogéniques vont se dégrader en lactone et acide quinique, qui ont une saveur amère. La caféine ne se dégradant pas à la torréfaction, son taux élevé apportera également de l’amertume. Le sucrose est un élément indispensable à la réaction de Maillard par sa décomposition en glucose et fructose lors de la torréfaction. La trigonelline va aussi se dégrader en composants volatiles. Ces deux composés chimiques en faible quantité entraineront une faible complexité aromatique.

Poisson et al. (2012) ajoutent que la quantité importante d’acides aminés libres dans le canephora aura une incidence négative en tasse avec la présence de notes terreuses voire animales.

Cette espèce possède une quantité plus élevée de polysaccharides, éléments principaux de la cellulose. Ces polysaccharides protègent les grains contre les contaminations et dégradations extérieures et confère au Coffea canephora un meilleur vieillissement que l’arabica. Ils sont également responsables du corps plus épais de la boisson.

Lingle et Menon (2017) rappellent que la SCAA (Specialty Coffee Association of America ) crée le Specialty Coffee Institute (SCI) en 1995 afin de développer une approche scientifique de l’évaluation du café de spécialité. En 1998, quand le prix du café chute fortement et devient inférieur aux coûts de production, le SCI devient CQI (Coffee Quality Institute). Les missions évoluent et s’orientent vers le travail d’amélioration continue de la qualité du café et des conditions de vie des producteurs. C’est à partir de ce moment qu’une méthode est formalisée à travers le protocole de dégustation de la SCAA. C’est 15 ans après, en 2010, que le CQI créé le protocole de dégustation pour le canephora.

Le canephora a été principalement cultivé pour ses propriétés résistantes et productivistes. Depuis quelques années, la communauté scientifique travaille sur des variétés aux profils aromatiques complexes. Certains producteurs investissent autant d’attention sur la culture de cette espèce que sur l’arabica. L’apparition tardive d’associations et groupes œuvrant pour la qualité de Coffea canephora face à ceux pour l’arabica, met en évidence un potentiel qualité à exploiter.

 

Quels sont les vecteurs d’amélioration qualité de l’espèce ?

 

Dans une démarche d’amélioration de la qualité et de pérennisation de la filière il est important d’étudier les différents éléments impactant la production et le profil aromatique du Coffea canephora (Linge et Menon, 2017).

Tout comme l’arabica, l’altitude aura un impact positif sur la qualité de la tasse. Au-dessus de 1000m, la maturation plus lente du grain et sa plus forte densité assurent un profil plus complexe. L’ombrage apportera aussi une meilleure qualité aromatique (D’après des études menées en Inde, pays très engagé dans la recherche sur le canephora).

Historiquement, le canephora est traité par voie sèche ou « nature ». Le process « lavé » ou par voie humide est beaucoup plus complexe que pour l’arabica. Le mucilage du Coffea canephora est plus épais et collant, rendant son lavage plus difficile avec un risque d’endommager le grain durant le process et l’apparition du défaut « cut » (Défaut officiel SCA, fragilisation physique du grain). La fermentation peut également être une étape problématique due à l’anatomie canephora (mucilage épais) et aux températures plus élevées à ces altitudes. La fermentation peut prendre plus de 72 heures face à 24-48h pour l’arabica. Il est nécessaire d’être extrêmement vigilant et précis afin d’éviter le défaut « sour » (Défaut officiel SCA, grain d’apparence jaunâtre aux odeurs vinaigrées).

Dans une optique productiviste du canephora, les producteurs ont eu tendance à ne pas explorer ce type de process. Il a été prouvé que la voie humide, avec une cueillette rigoureuse et sélective, une fermentation maitrisée et un séchage abouti, permettait d’améliorer la qualité en tasse avec une acidité plus éclatante, une amertume plus faible et une meilleure clarté globale en tasse. Les process « Honey » ou « Pulped natural » sont aussi une nouvelle piste d’amélioration qualité.

L’enjeu majeur de l’amélioration de la qualité passe par un investissement massif dans des programmes de sensibilisation et d’accompagnement des producteurs. Il est important de structurer sa dégustation et de calibrer les dégustateurs professionnels aux profils standards ainsi qu’aux nouveaux profils aromatiques de Coffea canephora.

 

La dégustation du canephora

 

En 2010, le programme Q Robusta ou R-Grader est créé de la collaboration entre le Coffee Quality Institute (CQI) et le Uganda Coffee Development Authority (UCDA).

L’objectif est de formaliser un langage commun de la qualité du Coffea canephora à travers une grille de dégustation spécifique. Le dégustateur R-Grader se focalisera sur 10 catégories pour évaluer chaque café. Certaines catégories sont communes à la grille de dégustation de l’arabica : « Fragrance/Aroma », « Flavor », « Aftertaste », « Balance », « Uniform cups », « Clean cups » et « Overall ». D’autres sont propres au Coffea canephora comme « Bitter/sweet aspect ratio », « Mouthfeel » et « salt/acid aspect ratio ».

Le score obtenu lors de cette notation permet de classifier en trois catégories : « Standard » (<76), « Premium » (76-80) et « Fine Robusta » (>80).  

« Bitter/sweet aspect ratio » permet d’évaluer la perception d’amertume par rapport à la perception de sucrosité. Les « Fine Robusta » auront une perception plus importante de sucrosité que les robustas conventionnels.

« Mouthfeel » caractérise le corps et les sensations tactiles. Une texture soyeuse sera perçue comme qualitative. Le poids peut aussi être en pris en compte dans la note finale.

Enfin la catégorie « Salt/acid aspect ratio » analyse l’équilibre de la perception des saveurs salées et acidulées. Le canephora peut contenir un niveau élevé de potassium (goût salé) et de faibles concentrations d’acidité citrique. Le « Fine Robusta » aura une perception plus faible de la salinité (moins de potassium).

 

Feuille de dégustation officielle CQI pour le « Fine Robusta »

 

Dégustation de Coffea canephora chez Belco

 

En juillet 2022, nous avons dégusté 35 cafés de 9 origines différentes (Brésil, Equateur, Guatemala, Mexique, Inde, Indonésie, Ouganda, Rwanda et Viêt-Nam). Cette dégustation a été réalisée par 12 personnes des équipes Belco.  La sélection de canephoras était composée d’une part d’offres de nouveaux partenaires et de cafés déjà présents chez Belco.

Une comparaison a été réalisée afin de situer ces nouveaux cafés et notre gamme existante dans le marché actuel et d’explorer de nouvelles options pour Belco. Avec le changement climatique, l’augmentation du fret et les potentielles qualités non explorées, nous avons pour but d’approfondir nos connaissances sur le Coffea canephora et le Fine Robusta.

Pour la dégustation nous avons repris les gammes CQI : Standard <76, Prémium 76-80 et Fine Robusta 80+. Afin de faciliter la dégustation simultanée de l’ensemble des 35 cafés, l’exercice se basait sur une attribution simplifiée de chaque café dans une de ces trois catégories en accordant 1 point pour la gamme « Standard », 3 pour la gamme « Premium » et 5 pour la gamme « Fine ». La moyenne des notes forme la note globale.

À la suite de ces résultats, nous avons mis en place l’utilisation des catégories CQI en interne chez Belco, importé de nouveaux canephoras et mis en place une nouvelle gamme avec des cafés notés 83+. Leurs dégustations se réalisent aujourd’hui de manière séparée de celles de l’arabica afin d’éviter leur comparaison.

 

Cupping thématique Coffea canephora

 

Conclusion

 

Encore rattaché à l’image d’un produit de qualité inférieure, Coffea canephora est en train d’évoluer positivement en termes de production et de qualité au sein de la filière. Le changement climatique et l’augmentation des coûts de production sont en train de jouer un rôle d’accélérateur dans cette mutation. Considérant l’impact écologique de la production, il est important de mettre en avant l’adaptabilité du canephora aux températures élevées. Cette adaptabilité permet de cultiver cette espèce sans nécessité d’applications de beaucoup d’intrants chimiques.

La dimension qualitative de la filière canephora évolue également. Nous pouvons observer aujourd’hui de nouveaux profils de tasse, des travaux sur la fermentation, sur les levures et même des participations à des championnats barista internationaux.

Le canephora a longtemps souffert de la comparaison avec l’arabica. Il est nécessaire de petit à petit se détacher de la comparaison que l’on réalise par méconnaissance. Cessons de diaboliser Coffea canephora et les « robustas », qui ne sont qu’au début de leurs développements ! Par ailleurs, soulignons qu’ils font génétiquement partie des variétés résistantes « d’arabicas » (Hybride du Timor, Catimor, Castillo, Ruiru 11, Marsellesa ), largement répandus aujourd’hui.

Le canephora un rôle important à jouer dans le futur de la filière café avec une augmentation de ses surfaces cultivables, de sa qualité, de la réduction de l’impact écologique global et son apport distinct dans nos espressos.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Herrera J.C. et Lambot C. (2017), « The Coffee Tree – Genetic Diversity and Origin » dans The Craft and Science of Coffee, Chapitre 1

Lindsay J., Carmichael P-H., Kröger E. et Laurin D. (2012) « Coffee: Emerging Health Effects and Disease Prevention », Chapitre 2

Linge T.R et Menon S.N (2017), « Cupping and Grading – Discovering Character and Quality » dans The Craft and Science of Coffee, Chapitre 8

Poisson L., Blank I., Dunkel A., et Hofmann T. (2012), « The Chemistry of Roasting-Decoding Flavor Formation » dans The Craft and Science of Coffee, Chapitre 12

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