Rencontre avec el maestro Don Herbert Betancourt
En 2016, j'ai entendu dire par un ami que Don Herbert Betancourt cultivait des variétés de cacao exotiques à Nahulingo, au Salvador. Je l’ai donc contacté dans l'idée d'en savoir plus sur son cacao. Cette année-là, il m'a répondu que ce n'était pas le moment, qu'il n'était pas encore prêt. Docteur Herbert Betancourt est incontournable au Salvador, que ce soit pour sa formation en médecine ou pour sa remarquable carrière politique. Aujourd'hui, il est l'un des producteurs que nous visitons avec le plus de plaisir. Le cacao de la ferme de Chiquihuat est délicieux et présente de nombreux avantages. Il peut être utilisé comme cacao de cérémonie et bien entendu comme matière première pour les meilleures tablettes de chocolat du monde.
Bonjour Don Herbert. Qu'est-ce qui a changé aujourd’hui comparé à notre premier contact en 2016 ?
Grâce à mon équipe et avec l'aide de magnifiques techniciens, nous sommes passés d'une utopie à une réalité, perfectible certes, mais nous sommes sur la bonne voie. Nous avons dû surmonter des épreuves, corriger notre façon d'être en relation avec notre environnement car nous avons provoqué de graves distorsions qui nous ont pénalisés par le passé. Nous mutualisons nos connaissances, nous corrigeons nos mauvaises pratiques agricoles dans l'espoir de contrecarrer la détérioration de l'environnement et d'avoir un meilleur impact sur notre qualité de vie. Ma petite exploitation, ainsi que celles de mes collègues producteurs de cacao, sont déjà des écoles où nous traitons bien notre terre afin qu'elle nous récompense tous.
Don Herbert, vous êtes médecin et agriculteur, pouvez-vous nous dire comment se manifeste cette fusion de vocations ?
Dès mon enfance, je me suis intéressé à l'étude des sciences naturelles, les visites dans les fermes de mes grands-mères et le contact direct avec la nature me rendaient très heureux. Mais ces voyages m'ont aussi permis de découvrir la dure réalité des familles d'agriculteurs. Le cercle vicieux de l'agriculture de subsistance coexistait avec la pauvreté, la malnutrition, les maladies infectieuses et la précarité. J'ai fait des études de médecine et de santé publique, marquée par les souvenirs de ces années d'enfance. Mes études en santé publique ont encore plus ouvert ma vision et mon champ de travail. La santé est le produit de multiples facteurs ; les soins médicaux sont importants, mais ils ne suffisent pas. Dans ma liste de facteurs prioritaires pour parvenir à une meilleure qualité de vie et au développement humain figurent l'éducation, la nutrition et la jouissance de conditions et d'environnements sains. Ma contribution à cette approche du développement est d’enseigner les bonnes pratiques agricoles. La culture du cacao dans les systèmes agroforestiers exige précisément l'utilisation de ces bonnes pratiques, en particulier en ce qui concerne l'agriculture biologique. Mais évidemment, les choses ne sont pas aussi simples.
Depuis quand êtes-vous sensibilisé à la culture du cacao ?
Lorsque j'ai eu 40 ans (Don Herbert a aujourd’hui la soixantaine), je me suis posé deux questions :
Qu'est-ce que j'ai fait de ma vie pendant tout ce temps ?
Et puis évidemment l'autre, encore plus importante : Vais-je changer quelque chose à partir de maintenant ?
La réponse a été de ne pas changer de direction, mais d'ajouter à mon travail dans le domaine de la santé, la tâche qui me rend le plus heureux et qui m'apporte la santé physique et mentale et la projection collective : cultiver la terre. Mettre une graine dans la terre et voir comment cette nature prodigieuse la transforme en nourriture, en médecine, en abri, en paix, c'est mon accomplissement. Je ne peux concevoir de meilleure occupation. Je cherchais à créer une ferme intégrale en appliquant les concepts de la permaculture. Je voulais un micro-environnement durable et diversifié. C'était difficile, j'ai changé mon approche impactée par toutes les informations sur les bienfaits de la culture du cacao. Mon beau-père Pepe, qui est toujours bien informé sur tout, a pris la peine de partager avec moi des articles sérieux. Il m'a également parlé d'un ami nicaraguayen qui, après une analyse de faisabilité économique, sociale et environnementale, a conclu que le meilleur investissement était de planter du cacao.
L'histoire de notre cacao au Salvador est très intéressante, nous avons un patrimoine national avec une projection énorme et des projets visionnaires comme ceux de l'ONG Alianza Cacao qui nous ont accompagnés (de la plantation à la commercialisation). En résumé, mon aventure avec le cacao dure depuis environ 10 ans. Depuis le début de la culture, j'ai privilégié les variétés criollo trouvées au CENTA (le Centre national de technologie agricole et forestière du Salvador), ou chez des amis comme Jaime Arevalo. J'ai ajouté au jardin clonal quelques variétés sauvages et uniques que j'ai trouvées par chance dans la ferme d'Ishuatan (zone historique de culture du cacao, à 40 km de la finca Chiquihuat).
On a beaucoup parlé des problèmes de ces variétés, ce qui a fait chuter leur plantation par rapport aux clones, reconnus comme très productifs, fins, aromatiques et résistants aux parasites. J’ai pourtant favorisé la plantation des criollos dans mes fermes. L'histoire coloniale fait état de grandes productions avec une forte rentabilité, mais si je voulais rester cohérent avec mon idée de sauver ce riche patrimoine, je devrais planter NOTRE CACAO ANCESTRAL. J’ajoute également comme autre fait historique qu’une ville importante comme Sonsonate a été fondée pour le commerce du cacao et que le port d'Acajutla a été construit pour exporter des milliers de chargements de cacao salvadorien. J'ai misé sur les criollos, sans sous-estimer les clones. Ce qui est intéressant dans ce mélange, c'est qu'il y a eu une "hybridation" entre les variétés et je suis content des résultats.
Pourriez-vous nous parler du processus de "construction" de votre exploitation ?
Dans le cadre de mon projet initial de ferme intégrale, j'ai commencé par planter des arbres indigènes en voie de disparition, tant forestiers que fruitiers, avec des îlots de pâturage pour les chèvres et les moutons Pelibüey (une race ovine élevée dans les Caraïbes et en Amérique du Sud pour sa viande). J'ai rapidement dû passer d'un système "agrosylvopastoral" à un système agroforestier avec du cacao. Le pouvoir de transformation des sols des fourrages arbustifs tels que la canavalia, la cratilia, le kudzu, la mucuna et les arbres fixateurs d'azote a transformé les sols de Chiquihuat de manière étonnante. Le travail minimal du sol, l'utilisation de biostimulants, le travail des micro-organismes de montagne sur les feuilles mortes, la plantation avec des bacs à eau, le contrôle du ruissellement, la prévention des incendies et la taille contrôlée sont les principales tâches qui ont transformé un sol argileux épuisé par les monocultures en une terre fertile et productive. C'est un travail difficile pour une équipe responsabilisée qui partage la fierté de construire cet îlot de verdure au milieu d'un océan de champs de canne à sucre. L'équipe comprend mes amis, des techniciens d'Alianza Cacao, de CLUSA, de Rikolto, d'IILA et d'autres.
Laisser la nature faire son travail, redonner vie à cet organisme que nous appelons le sol, l'aider un peu avec de bonnes pratiques grâce à des connaissances sur la nutrition des plantes est une tâche urgente et fondamentale.
J'ai une longue liste d'arbres plantés par vous et votre équipe, quand avez-vous commencé à reboiser ?
Dans le but de sauver notre patrimoine forestier, j'ai planté 40 variétés d'arbres endémiques dont beaucoup sont en voie d'extinction. Ces arbres indigènes ont été abattus dans le passé pour leur bois précieux. Dans quelques décennies ces bois contribueront à la trésorerie de la plantation. J'ai également planté 30 variétés d'arbres fruitiers, tous productifs à l'heure actuelle. Ces arbres à bois et arbres fruitiers ont transformé cette petite forêt en une oasis de protection et de subsistance pour la faune qui a augmenté de manière significative. Parmi les animaux, certains sujets ne sont pas très appréciés par les cultivateurs de cacao que nous sommes, notamment les écureuils et les piverts. Nous devons les accepter inévitablement car ils font partie de la culture du cacao.
Pouvez-vous me dire comment vous avez choisi ces types d'arbres ?
Pour établir cette petite forêt, j'ai été guidé par les caractéristiques et les avantages de chaque espèce : dimensions, forme de l’ombrage, résistance au vent, vitesse de croissance, type et utilisation des fruits, capacité à fixer l'azote, adaptation à l'altitude, résistance aux changements saisonniers, utilisation et valeur de son bois... Les individus de la forêt en tant qu'organismes vivants en relation les uns avec les autres, échangent des éléments vitaux qui confèrent santé et protection au micro-environnement dans lequel ils vivent. Cet échange nous atteint également, nous les êtres humains, lorsque nous nous promenons sous la canopée. Si nous sommes attentifs, nous entendrons la symphonie de la forêt qui vous ravira, vous apportera la santé et la paix intérieure. Nous devons être attentifs.
Que signifie pour vous la fermentation du cacao et que pensez-vous du cacao non fermenté ?
Les connaisseurs de la culture et de la transformation du cacao, ainsi que de nombreux chocolatiers, accordent une grande importance à la transformation biochimique du cacao pendant la fermentation. Ils affirment que c’est lors de la fermentation se développent les meilleurs arômes. Mais cette transformation biochimique nous fait perdre une bonne partie des composants chimiques de la fève de cacao qui ont des effets bénéfiques sur la santé. Évidemment, selon l'usage que l'on va donner à la fève, le procédé le sera aussi et dans mon cas, je cherche un cacao (variété et process) qui conserve au maximum ses bienfaits pour la santé, tout en étant apprécié par les consommateurs. Telle est ma mission.
Lors de mes dernières visites dans votre ferme, j'ai eu l'impression que vous étiez plus fier que jamais du goût de votre cacao... est-ce vrai ?
Oui. Chaque jour où je propose mon cacao, je reçois de bons commentaires sur les caractéristiques organoleptiques de la part des dégustateurs professionnels ou amateurs, en particulier de ceux qui vous disent sincèrement "j'aime ou je n'aime pas" ou "c'est spécial". Mais ceux qui stimulent le plus mon ego sont ceux qui vous demandent de leur donner plus de chocolat. J'insiste sur le fait que le cacao Chiquihuat est une heureuse hybridation de criollos et de trinitarios. Les généticiens peuvent me corriger, mais ce que nous goûtons est spécial. Sur cette voie, le Salvador aura plus de chances d'être considéré comme un nouveau pays d'origine pour le cacao. Notre relation avec BELCO nous ouvre pour l'instant la porte de l'Europe et de l'Asie, où notre cacao salvadorien est connu et apprécié.
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